LA PERSPECTIVE DU CLONAGE THERAPEUTIQUE A DROIT A UN DEBAT CITOYEN

Tribune parue dans L’Humanité du 30 août 2005.

Par Ladislas Polski, délégué national à la santé du MRC

 

Parmi les sujets de société qui doivent animer le débat public à la rentrée, celui du clonage thérapeutique, dont les enjeux sont multiples, paraît particulièrement urgent.

Si le clonage reproductif est unanimement condamné, la perspective du clonage thérapeutique offre quant à elle d’immenses espoirs de connaissance et de traitement d’un grand nombre de maladies, notamment dégénératives. Pour de nombreux scientifiques, la recherche sur le clonage à visée thérapeutique peut s’inscrire, aux cotés des thérapies géniques, dans un projet scientifique global visant à parfaire l’arsenal thérapeutique dont dispose la médecine moderne.

La recherche dans ce domaine avance à grands pas en dehors de nos frontières.

L’équipe de scientifiques coréens qui avait réussi à cultiver des lignées de cellules souches obtenues à partir du clonage d’un embryon humain vient d’annoncer la naissance du premier chien « cloné ».

 En Europe, ce sont des scientifiques britanniques qui, très peu de temps après l’autorisation accordée à leur projet de recherche autour du clonage thérapeutique, ont réussi à créer un embryon humain par la technique du transfert nucléaire.

En France, la loi votée en juillet 2004, sous l’impulsion du ministre Jean-François Mattei, a interdit le clonage thérapeutique.

Dans les instances internationales, aucun consensus n’a pu être obtenu sur ce sujet, pas plus à l’échelon européen qu’à l’ONU.

A l’issue du long débat entre un groupe de pays qui souhaitaient interdire toute forme de clonage (le Costa Rica, soutenu par le Vatican et les Etats Unis), et un autre groupe, partisan d’interdire le clonage reproductif et de laisser à l’appréciation des états l’autorisation du clonage thérapeutique (la Belgique, soutenue par la Chine, le Japon, le Royaume Uni et la France), l’Assemblée générale des Nations unies n’a adopté en mars 2005 qu’un texte qui encourage à interdire toute les formes de clonage humain, « dans la mesure où elles seraient incompatibles avec la dignité humaine et la protection de la vie humaine ».

Ce texte n’étant pas contraignant, la balle se trouve donc dans le camp des états, de leurs parlements et de leurs citoyens.

Certains des arguments de ceux qui s’opposent à la perspective du clonage thérapeutique sont recevables. Nombreux sont ceux, par exemple, qui craignent que la voie du clonage thérapeutique n’ouvre celle du clonage reproductif, dont les techniques ne peuvent être que très voisines.

L’autre crainte majeure est que le développement du clonage thérapeutique aboutisse à une instrumentalisation, voire à une réification, d’embryons humains « relégués » au rang de médicaments.

D’autres réticences existent, liées notamment aux problèmes qui se poseront pour le recueil des ovocytes et au risque de marchandisation que comportent ces pratiques.

On ne peut cependant refuser de voir que les causes majeures du rejet de la perspective du clonage thérapeutique sont de l’ordre des convictions spirituelles.

A l’ONU, les Etats-Unis de G. W. Bush et le Vatican se sont révélés d’ardents opposants du clonage thérapeutique ; en France, une éthique de conviction d’inspiration chrétienne a sans doute beaucoup influencé les artisans de la loi adoptée en 2004.

Il serait cependant trop simple, dans cette affaire, de considérer que le débat autour de la question du clonage thérapeutique se résume à l’affrontement entre l’esprit républicain de laïcité, progressiste, d’une part, et un obscurantisme d’inspiration religieuse d’autre part.

S’il faut rappeler que l’Académie des Sciences et l’Académie de Médecine avaient, peu de temps avant l’adoption des lois de bioéthique en 2004, préconisé le clonage thérapeutique, on ne trouve pourtant pas que des responsables religieux pour s’opposer au clonage. Plusieurs scientifiques ont émis des réticences à voir des équipes s’aventurer sur ce terrain.

La réalité est que les questions de bioéthique ne doivent pas rester une affaire d’experts, mais donner lieu à un débat citoyen.

Le référendum italien de juin 2005 sur la Procréation Médicalement Assistée était une excellente initiative. Malheureusement, la timidité de la classe politique, soucieuse de ne pas trop s’impliquer, et la forte pression exercée par l’Eglise catholique ont sans doute beaucoup joué dans la faible participation au vote qui a transformé cette occasion unique en rendez-vous manqué.

Dans notre pays, une proposition de loi vient d’être déposée pour que la question du clonage thérapeutique soit réexaminée.

Au ministre Mattei, inspirateur des lois de 2004 qui avaient interdit toute forme de clonage, et à Philippe Douste-Blazy, qui n’avait pas exclu de faire évoluer la loi, succède un nouveau ministre de la Santé. Il est temps qu’il fasse savoir publiquement sa position sur ce sujet.

De nombreuses interrogations restent aujourd’hui sans réponse et devront être tranchées:

– quels que soient les risques de dérives qui existent et qui devront être encadrés, notamment en réservant ce domaine à la recherche publique, peut-on se priver d’une perspective d’avancées médicales majeures ?

-peut-on ignorer purement et simplement un domaine de recherche qui est une réalité concrète à la fois chez un de nos plus proches voisins européens, mais aussi en Corée du Sud, au sein d’un continent où les valeurs chrétiennes ne pèsent pas sur le débat ?

-peut-on opposer un refus de principe aux aspirations légitimes des malades qui attendent des progrès dans la connaissance de leurs pathologies?

Face à l’impossibilité d’un consensus international et européen pour ces questions trop marquées par des éthiques de convictions différentes, la France se doit d’affronter ce débat à l’aide de son modèle républicain, humaniste, progressiste et laïc.

Face à des éthiques de convictions opposées, c’est une éthique de responsabilité que doit adopter le législateur dans ce domaine.

C’est cette éthique de responsabilité laïque qui a permis l’adoption des législations sur l’interruption volontaire de grossesse ou la procréation médicalement assistée.

La proposition de loi récemment déposée doit être l’occasion d’un débat citoyen qui n’a pas eu lieu lors de la révision des lois de bioéthique en 2004.

C’est en faisant sortir ces questions du domaine réservé des experts que nous devons trouver la réponse aux enjeux de bioéthique qui touchent au plus intime de l’être humain.