LES FRANCHISES INADAPTEES

Des propositions de gauche pour s’attaquer au déficit de la Sécurité sociale.

Tribune parue dans Libération du 2 août 2007.

Ladislas POLSKI, médecin, secrétaire national à la santé du MRC.

TVA sociale et franchises pour les soins : ces projets du gouvernement ont relancé le débat sur le financement de la Sécurité sociale. Il était temps. Pour cela, l’opposition doit entrer dans le débat avec les idées claires.

L’alerte lancée par le comité chargé de veiller sur les comptes de l’assurance maladie avait fait grand bruit avant les législatives : l’objectif fixé pour les dépenses serait dépassé d’au moins 2 milliards d’euros en 2007. La réforme Douste-Blazy, censée ramener les comptes à l’équilibre, n’a donc pas porté ses fruits, et la situation de l’assurance maladie est aujourd’hui alarmante. On aimerait pouvoir se consoler en pensant que les déficits offrent la contrepartie d’un accès aux soins pour tous. Malheureusement, il n’en est rien : le renoncement aux soins pour raisons financières touche encore de 11 à 14 % des Français malgré la création de la CMU en 2000, dont les bénéficiaires sont d’ailleurs souvent victimes d’un refus de soins, comme l’a montré un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales en 2006. Aujourd’hui encore, six ans et demi séparent l’espérance de vie d’un ouvrier de celle d’un cadre supérieur. C’est la triade «désengagement, culpabilisation, incurie» qui résume le mieux les mesures sur la Sécurité sociale prises par la droite depuis la réforme Douste-Blazy.

Le désengagement ? Il consiste à augmenter sans cesse la part restant à la charge des assurés dans les dépenses de santé : instauration d’un forfait de 1 euro par acte puis d’un forfait de 18 euros pour tous actes d’un montant supérieur à 91 euros, augmentation du forfait journalier hospitalier, introduction de nouveaux dépassements d’honoraires non remboursables.

La culpabilisation ? Elle s’appuie sur l’idée qu’il faudrait responsabiliser les patients pour réduire leur «consommation» médicale. Un malade n’ignore-t-il pas de quoi il souffre lorsqu’il consulte un médecin ? Comment, dès lors, pourrait-il juger du bien-fondé de sa consultation ?

L’incurie ? Les chiffres que vient d’annoncer le comité d’alerte parlent d’eux-mêmes. Quant aux idées avancées par le Président, elles n’apparaissent pas susceptibles de corriger les déficits, mais plutôt d’aggraver les inégalités d’accès aux soins : ainsi avec l’instauration des franchises. Pourtant, le gouvernement ne pourra faire l’économie d’un vrai ­débat de fond sur l’avenir de la Sécurité sociale.

Quant à la gauche, sa juste critique de la TVA soi-disant sociale et des franchises pour les soins ne la dispense pas de formuler des propositions ambitieuses et novatrices, qui seront l’un des piliers pour la refondation à laquelle elle doit travailler. Plusieurs idées semblent entraîner depuis longtemps un relatif consensus, notamment le transfert de l’assise des cotisations patronales de la masse salariale vers la valeur ajoutée des entreprises. Suggérons d’explorer quatre nouvelles pistes : deux pour réduire les dépenses, deux autres pour augmenter les recettes.

En premier lieu, la puissance publique doit s’intéresser au médicament. La diffusion des médicaments génériques est bien sûr indispensable, ainsi que le déremboursement de certains médicaments, quand des études indépendantes ont prouvé l’insuffisance de leur Service médical rendu. Mais ces mesures sont indissociables d’une politique plus ambitieuse de rationalisation des dépenses de pharmaceutiques. Politique qui implique d’une part de transférer aux ­caisses les compétences relatives à l’inscription des médicaments au remboursement par l’assurance maladie et à la fixation de leur prix afin que seuls les médicaments innovants puissent être éligibles au remboursement, et pour aligner le prix d’un médicament sur celui du moins cher de sa classe. Et d’autre part, en lien avec l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, il faut réorganiser les procédures d’évaluation des médicaments, et d’autorisation de leur mise sur le marché. Il faudrait développer une formation médicale continue et une information des praticiens indépendantes de l’industrie pharmaceutique.

En second lieu, la question de la rémunération à l’acte des professionnels doit être remise à plat. S’il convient d’harmoniser les revenus des différents professionnels, l’augmentation du tarif des actes n’est pas une solution satisfaisante, et la diminution de tarif de certains actes paraît indispensable. Au-delà, il faut réfléchir aux conditions de mise en oeuvre d’une rémunération forfaitaire pour les professionnels de santé. Ces nouveaux modes de rémunération pourraient être expérimentés dans des dispensaires dont Ségolène Royal a proposé la création pendant la campagne présidentielle, et qui serviraient également de centres pilotes dans d’autres domaines comme l’amélioration de la qualité des soins et de la prévention. Ces dispensaires contribueraient aussi à la réduction des inégalités territoriales d’accès aux soins. Mais c’est peut-être en vue de l’augmentation des recettes de l’assurance maladie que les pistes les plus ambitieuses doivent être explorées, notamment pour faire face aux besoins de financement de l’hôpital public.

En premier lieu, l’industrie pharmaceutique doit être davantage mise à contribution, tant est saisissant le contraste qui existe entre les difficultés de financement de notre système de santé et les profits réalisés par les entreprises du médicament. Pourtant, la prospérité de ces multinationales repose, aussi, sur la performance de notre système de soins, et l’on est en droit de penser que leurs bénéfices servent trop, sans doute, à rémunérer des actionnaires, et pas assez à nourrir l’investissement et la recherche innovante.

Enfin, la taxation des revenus financiers des entreprises, qui échappent à toute co tisation sociale, doit être décidée et organisée.

L’instauration d’une cotisation équivalente à l’actuelle cotisation patronale pourrait rapporter à l’assurance maladie des ressources nouvelles, que plusieurs auteurs évaluent à environ 8 milliards d’euros par an. Notre société est en face d’un choix, qu’elle doit affronter : soit elle abdique devant l’augmentation des dépenses de santé et laisse à chacun la responsabilité de s’assurer contre le risque de la maladie ; soit elle décide de trouver les ressources nécessaires pour donner à tous l’accès aux meilleurs soins. La Sécurité sociale est héritière du choix entre ces deux options fait il y a soixante ans par le Conseil national de la résistance. Qui peut croire aujourd’hui que la France, l’une des premières puissances économiques du monde, n’a plus les moyens de financer sa «Sécu» ?