REDONNER UN CAP POUR LA SANTE PUBLIQUE

Contribution thématique de Ladislas Polski, secrétaire national du MRC en charge des questions de santé et de protection sociale.

Le Mouvement Républicain et Citoyen place la République au centre de sa réflexion et de son action.
Or, s’il est un domaine où le modèle républicain est aujourd’hui malmené, c’est bien celui de la santé.
Une étude récente indique qu’un quart de nos concitoyens disent avoir récemment renoncé à des soins pour raisons financières.
Ces inégalités grandissantes, sociales, mais aussi territoriales, dans l’accès aux soins, sont une véritable blessure pour le pacte républicain.
Aujourd’hui, il semble que nous soyons déjà loin de cette affirmation simple, fondatrice de la Sécurité sociale et constitutive du programme du Conseil National de la Résistance : chacun participe au financement de la santé selon ses moyens, et bénéficie de soins selon ses besoins.
C’est ce principe qui doit inspirer aussi le débat sur le financement de la dépendance que le Président de la République vient de lancer. Il faut veiller à ce que ces enjeux ne soient pas livrés aux appétits des compagnies d’assurance et soumis à la concurrence.
Depuis des décennies, notre système de santé repose sur un équilibre fragile : une médecine ambulatoire majoritairement assurée par le secteur libéral lui-même structuré par ses deux sacro-saints principes du paiement à l’acte et de la liberté d’installation ; une médecine hospitalière au sein de laquelle cohabitent établissements privés, à but lucratif (majoritaires) ou non lucratif, et hôpitaux publics, « dominés » depuis 1968 par la figure des Centres Hospitalo-Universitaires.
Depuis 2004 et la réforme Douste-Blazy, sous des gouvernements de droite, cet équilibre déjà imparfait a cependant été particulièrement mis à mal par des mesures successives dont la loi HPST est à ce jour le point culminant.
En premier lieu, il convient d’observer l’ensemble des mesures prises qui ont augmenté la part restant à la charge des patients dans les dépenses de santé : les forfaits ; les franchises, qui visaient à responsabiliser les patients, comme si un malade était en capacité de juger seul du bienfondé de son recours aux soins ; les déremboursements qui ne portent plus aujourd’hui uniquement sur des médicaments que la collectivité est en droit de renoncer à payer si la preuve n’est pas faite de leur efficacité ; l’augmentation du forfait journalier hospitalier. Toutes ces mesures contribuent à aggraver le renoncement aux soins.
Parallèlement, les mesures touchant aux établissements de santé ont accentué une dérive concurrentielle, lucrative, et génératrice d’inégalités.
La mise en place de la tarification à l’activité (« T2A »), intrinsèquement inflationniste, a introduit à l’hôpital public la logique du paiement à l’acte, et potentiellement tous ses effets pervers : obsession de la rentabilité, sélection à terme des patients en fonction de leur pathologie, disparition d’activités non rentables, fragilisation de fait au profit du privé, de l’hôpital public, qui continue d’assumer en première ligne des missions de service public insuffisamment rémunérées par les sommes forfaitaires compensatrices allouées.
La loi HPST ne comporte pas que des aspects négatifs.
Ses partisans mettent en valeur ce qu’ils estiment être le mot clé de la loi : le « décloisonnement », et il est vrai que certains décloisonnements sont souhaitables : entre les soins, la prévention et le médicosocial ; entre la médecine ambulatoire et la médecine hospitalière ; entre les compétences des professionnels de santé…
Mais le plus important n’est pas là.
Car le décloisonnement qui est au cœur de la loi, c’est surtout cette inquiétante confusion des genres entre public et privé, inscrite dans le volet hospitalier de la loi.
Ainsi, la création des Agences Régionales de Santé, qui structurent désormais à l’échelon régional l’organisation de la santé en regroupant les services de l’Etat et de l’Assurance Maladie, n’est pas une mauvaise idée.
Ce qu’on peut reprocher aux ARS vient du cap qui leur est donné, qui fait d’elles les outils d’application d’une loi très bienveillante à l’égard du secteur privé.
Les Groupements de Coopération Sanitaire que les ARS vont encourager incarnent bien cette confusion des genres entre public et privé : structures de rapprochement entre établissements de santé, les GCS vont pouvoir organiser le regroupement d’hôpitaux publics avec des établissements de santé à but lucratif et entraîner ainsi la disparition de certaines activités du secteur strictement public : on imagine facilement les implications d’une telle évolution en terme d’inégalités d’accès aux soins pour des patients ainsi exposés au risque d’être « piégés » par la pratique des dépassements d’honoraires.
Plus grave encore peut-être, la mise à égalité théorique, dans le premier chapitre de la loi, des établissements de santé publics et privés qui peuvent indifféremment se voir confier des missions de service public, parmi lesquelles l’enseignement universitaire et post-universitaire.
Ainsi, alors que le « prestige universitaire » restait, dans les CHU, l’un des principaux facteurs attractifs capables de retenir les médecins courtisés par les cliniques privées beaucoup plus rémunératrices, quels arguments ces CHU auront-ils demain pour éviter l’hémorragie de leurs forces vives ?
Or, s’il convient de défendre les CHU, c’est qu’ils incarnent le mieux la synthèse républicaine entre excellence médicale et égalité d’accès aux soins.

Dans ces conditions, notre système à vocation égalitaire et l’hôpital public sont-ils à terme condamnés ?
Quels sont les principaux défis que devra relever la gauche dans la perspective d’une alternance en 2012 ?
Le premier enjeu est à coup sûr celui du financement.
La démographie marquée par le vieillissement de la population, et les progrès techniques de la médecine, rendent l’augmentation des dépenses de santé inexorable.
Notre société doit l’accepter, et se donner les moyens de financer cette augmentation.
En premier lieu, il est donc fondamental de créer des richesses, d’où la nécessité de mener une véritable politique industrielle : le Mouvement Républicain et Citoyen propose, dans son programme de Salut Public, des pistes en ce sens, notamment dans les domaines monétaire, commercial, dans ceux de la recherche, de l’innovation ou des infrastructures.
Il faut aussi trouver de nouveaux financements pour la protection sociale : la taxation des revenus financiers des entreprises pour abonder le financement de la sécurité sociale est une option qui fait son chemin. Il faut corréler cette piste avec une réforme de la fiscalité visant à rendre l’impôt réellement progressif selon les ressources.
Il faut aussi rationnaliser les dépenses.
La nécessité de revoir la politique du médicament semble s’imposer au regard de l’affaire du Mediator. La réflexion et la réorganisation doivent porter à la fois sur la sécurité d’utilisation des produits, sur leur efficacité réelle, et sur la pertinence de leur remboursement par la collectivité.
Enfin, le débat sur les alternatives à la rémunération à l’acte et l’expérimentation de nouveaux modes de rémunération pour les professionnels entre dans le cadre de la nécessaire rationalisation des dépenses de santé.
Au-delà de la question du financement, il faut revoir l’organisation du système de santé autour de ses deux piliers, que doivent être le médecin traitant d’une part, et l’hôpital public d’autre part, auquel il est légitime de réserver un statut particulier, sans dénier l’utilité pour le système de santé des établissements de santé privés.
A côté de ces deux piliers, et en lien avec eux, il conviendra de préciser davantage la place de tous les acteurs du système de santé : offre de soins hospitalière et ambulatoire, prévention, médico-social.
A l’hôpital public, il faudra revenir sur le « tout T2A » : sans doute une approche pragmatique plutôt que dogmatique est-elle la plus responsable, recourant de façon mesurée en fonction des réalités propres à chaque spécialité, à une mixité entre les trois modes de financement que sont le prix de journée, l’enveloppe globale, et l’activité réelle.
Ces adaptations techniques devront se faire au bénéfice de l’accès de tous à des soins de qualité.
Quant à la gouvernance de l’hôpital, aujourd’hui dominée par la fonction du directeur d’établissement conformément à la volonté de Nicolas Sarkozy de ne voir qu’ « un seul patron à l’hôpital », elle doit être rééquilibrée afin que les soignants soient réintégrés dans les processus de décision.

A côté du secteur de l’hospitalisation, les activités ambulatoires du champ de la santé doivent être articulées sur la base de plusieurs principes que la loi HPST a partiellement pris en compte, mais qu’il faudra pousser de manière plus ambitieuse : pluridisciplinarité, coordination, liens entre les soins, la prévention et le médico-social, liens entre la médecine de ville et l’hôpital, plateformes ambulatoires de formation initiale, formation médicale continue indépendante, mais aussi alternatives à la rémunération à l’acte des professionnels, et installation des praticiens rationnalisée.
Les maisons de santé pluridisciplinaires doivent être les lieux d’expérimentation de ces nouvelles pratiques.

Pour conclure, il faut insister sur l’idée qu’une politique de santé républicaine doit avoir comme axe central la réduction des inégalités de santé.
Cet objectif, pourtant proclamé par la loi HPST, s’apparente malheureusement, à ce jour, à un vœu pieu au regard des orientations réelles de la loi.
Etrangement, la politique de santé, sujet de société s’il en est, fait rarement l’objet d’un vrai débat public.
Il faut élever ces questions au-dessus de leur apparente dimension technique et rebutante, pour que les citoyens puissent s’en emparer.
Pousser plus loin l’égalité d’accès à la santé, c’est faire vivre le modèle républicain.